Petite mise au point - Ft. Matt Eversman

22 Janvier 2021

S'il y avait bien une chose que Shaun aurait aimé ne jamais rater, c'était bien cette fête-là. Il n'en avait pourtant pas célébré beaucoup. Les premières avaient été plus facile à mettre en place et orchestrer, et certaines fois, Shaun n'y avait pas été de main morte d'ailleurs sur l'organisation. Il n'était même pas sûr de se souvenir intégralement de toutes, se perdant dans les nébuleux degré de l'alcool ingurgité et à la faveur de cette bonne sainte weed. Il se souvenait même qu'il avait passé l'une d'elle en Afghanistan, putain de jour d'ailleurs que celui-ci, au travers d'une foutue-visio-conférence qu'une détonation avait avorté à la vitesse grand V. Et puis, il y eut les aléas de la vie, les années qui passèrent, les affectations qui éloignèrent les amis, jusqu'à ne plus être qu'un lointain, très lointain souvenir d'une jeunesse bien plus enivrante que le parfum de n'importe quelle femme.

Le réveillon de Noël avait laissé un goût d'inachevé au nouvel affecté. Certes, il y avait croisé de nouveaux visages, quand bien même il s'était contenté, dans sa volonté farouche de ne pas s'afficher, d'une salutation cordiale, d'une présentation identique, et d'être considéré comme l'officier coincé qu'il était bien cintré dans sa tenue de rigueur. Une autre part de lui-même, celle bien attachée et ficelée, avait hurlé au scandale d'avoir laissé passer une telle occasion. Mais l'eau avait coulé sous les ponts, comme on disait, le temps, immuable, avait filé pour chacun d'eux. Shaun n'en était devenu que plus amer. Quand à Matt, au souvenir de son dossier, avait sans doute bien changé également.

Il n'était pas tout à fait sur du Matt qu'il allait retrouver. S'il était toujours le même, toujours l'identique à celui que sa mémoire avait conservé. Ou bien ils se seraient tant et tant éloigné de cela, l'un et l'autre, que le souvenir resterait seulement ce qu'il avait toujours été, bienheureux encadré dans sa collection de photo qui trônait dans son salon resté sur Terre. Y'avait qu'un moyen de vérifier, qu'un moyen de savoir vraiment ce qu'il était devenu, de comprendre ces huit années, et de retrouver son pote de toujours.

Aujourd'hui, c'était un jour de repos. Un jour où rien était permis hormis revêtir une tenue plus décontractée et profiter de ce semblant d'humanité qu'Atlantis avait réussit à ramener de Terre. Il ne doutait pas qu'avec toutes ces années, le Ranger avait bien eu l'occasion de profiter des loisirs locaux. Bar, restaurant, gymnase, le minimum syndical qui ne permettait pas beaucoup d'originalité quand on voulait surprendre. Mais qu'à cela ne tienne, sa seule présence suffirait pour rendre l'occasion différente des autres. Pour l'occasion, et parce qu'il n'avait pas grand chose d'autre de toute manière, il avait enfilé sa tenue de sport règlementaire, short et tee-shirt, et un ballon de basket sous son bras gauche.
Il avait circulé ainsi dans les quartiers du personnel à la recherche de la piaule de son souffre douleur du jour, longeant les différentes portes avant d'identifier sa cible, s'arrêtant au devant bien gonflé dans sa motivation. Lorsqu'il tambourina à sa porte, d'un poing assez rude, il se racla ensuite la gorge, laissant sa voix qu'il agrava davantage porter au-delà de cette dernière.

« Caporal Eversman. Ouvrez. Vous êtes en état d'arrestation pour délit de sale gueule ! »

Pas sûr qu'il tombe réellement dans le panneau, surtout au vu de la tournure de ses mots, mais là n'était pas la réelle surprise qu'il comptait lui offrir, car c'était bien un véritable boulet de canon en la taille d'un ballon orangé que Shaun propulserait dans ses bras, qu'il soit réveillé ou non.

Le regard de Shaun fila aussitôt par dessus l'épaule de son camarade, avisant le foutoir qui en résultait. Y'avait pas besoin d'avoir beaucoup de logique pour connaitre les tenants et les aboutissants de la nuit que le Ranger avait passé. Les preuves étaient indiscutables et criait le carnage. Tant par ces vêtements disséminés dans tous les sens qui, s'ils trouvaient d'ordinaire un sens dans le territoire de l'animal qu'était Eversman, apportaient leur lot de quasi-originalité en la manifestation d'un soutien-gorge de dentelle rouge à l'imposante capacité d'emport et à ce string, si fin qu'il aurait bien pu passer inaperçu si son coloris n'en avait pas attiré l’œil. Mais aussi par la manifestation de cette gueule enfarinée qui aurait presque eu du mal à dire, non seulement quel jour ils étaient mais aussi, où. Peut-être même qu'il était à ce point perdu dans son propre corps. L'occasion idéale.

Un sourire aussi franc que facétieux germa sur les lèvres de l'homme qui voyait se dessiner mille plans dans son esprit sur l'art et la manière de faire chier autant que retrouver son pote, des manières les plus brutales qui soient. L'adage qui voulait que plus on appréciait quelqu'un et plus on le châtiait avec ferveur, allait trouver tout son sens et plus encore. S'avançant d'un pas dans la direction du G.I., il l'écarta d'un geste sur le côté de la main à son épaule pour se frayer un passage dans les profondeurs de l'antre de la bête. Sa première avancée lui tira presque un mouvement de recule à son buste escorté d'une grimace, comme s'il prenait de plein fouet un mur invisible.

« Bordel, Matt. Ça pu la baise dans ta piaule. Sérieux. »

Il ne se souvenait plus du nombre de fois où il avait lâché cette phrase d'un air décontenancé à chaque fois qu'il avait fait irruption dans les appartements du loustique. Plus d'une dizaine assurément, peut-être plus. En réalité, il n'avait jamais tenu le compte, mais ce simple retour en arrière dans ses souvenirs les plus profonds rendait cette familiarité d'autant plus appréciable. Sur ce plan-ci, il n'avait pas changé.

Les bruits des jets d'eau qui filtrait au travers de la paroi qui séparaient la chambre de la salle de douche attirèrent son attention immédiate. Il ne voulait pas laisser le temps à Matt de reprendre concrètement ses esprits, d'avoir conscience de l'intrus qui venait saccager sa grasse matinée, continuant de dérouler les prémices d'une nouvelle célébration mémorable. Armant son poing, il vint cogner contre la porte de séparation, tambourinant avec un peu plus de vigueur qu'il l'avait fait peu avant, laissant sa voix porter à nouveau pour passer outre la cloison et le bruit chuintant de la douche.

« Mademoiselle ! Ici la brigade de régulation des partenaires de baise d'Eversman. Veuillez évacuer les lieux, s'il vous plait. Vous avez dépassé votre quota ! »

Un rire guttural mais aérien s'échappa des lèvres de Shaun à l'instant même où Matt accrocha son tee-shirt pour le repousser, se laissant faire sans protester, accentuant même l'effet de recule. Ses baskets avaient froissés sous le poids du gaillard quelques vêtements qui traînaient alors au sol, manquant même de se prendre les pieds dedans. Il s'était bien vite désintéressé de la salle de bain, n'accordant pas grande importance à ces femmes qui parvenaient à se retrouver dans le plumard de son collègue. Plus par habitude que par dénigrement d'ailleurs, aucune d'elle n'y restant bien longtemps, Shaun avait apprit à ne même plus s'ennuyer à apprendre leur prénom - que même son pote avait parfois du mal à retenir selon la fraîcheur de la relation. Il aurait été mentir de prétendre que Shaun n'avait jamais goutté à ce genre d'hors-d'œuvre. Des femmes volages qui ne cherchaient que le doux confort d'une nuit de plaisir, il en avait connu, bien souvent à ses dépends d'ailleurs - du moins de ce qu'il prétendait. Mais c'était une chose à laquelle il préférait ne pas y accorder d'importance, bien enfouit et justifié par une fougueuse jeunesse et la mauvaise influence d'Eversman.

« Ca va, calme toi. » laissa t-il entendre en levant une main à la fois d'autorité et de tempérance, l'abaissant aussitôt ensuite pour ne pas attiser davantage la colère de son ami.

Il détourna ensuite son attention sur le reste de la chambre, oubliant même de relever que l'odeur de sueur et d'autre substance s'échappaient enfin par la fenêtre ouverte, s'intéressant principalement à la console de jeu traînant dans un coin de meuble sous le téléviseur. Cet objet semblait avoir capté sa nouvelle attention, oubliant même la présence de la donzelle qui n'allait sans doute pas tarder à sortir de la salle de bain. Ses yeux revint vers Matt rapidement après, alors que ses pas l'entrainaient dans la direction opposée, le faisant progresser de flanc, puis à reculons en parlant sur la même tonalité amusée.

« Et de nous deux, c'est moi qui devrait être le plus vexé. J'te vois plus pendant huit années, et ton seul foutu anniversaire qu'on a l'occasion de passer à nouveau entre pote, t'oublie même de m'inviter à ta petite sauterie alcoolisé. Tu croyais que j'allais te laisser t'en sortir comme ça ? » Il ouvrit les deux bras symboliquement, ses épaules se réhaussant d'un même temps tandis que ses lèvres de plissaient en un air circonspect. « Aller, arrête de râler. On sait tous les deux que sitôt passé ta porte, t'aura oublié son existence. »

Il avait envoyé cette dernière phrase en désignant la fameuse ouverture, symbolisé par cette paroi de métal certifiée technologie ancienne. Il s'arrêta de bouger en arrivant près de la fameuse console, venant prendre alors une posture accroupie juste à côté. Du plat de la main, il en balaya le dessus, retirant les résidus éphémères de poussière qui s'y étaient accumulés. Pas de quoi prétendre que personne y avait touché depuis des lustres, bien au contraire, juste la quantité logique de quelques jours sans ménage. Ca aussi, ça faisait partit des nombreux souvenirs qu'il en avait du Ranger. Des nuits blanches entière les yeux braqués sur le large écran lumineux plongé dans l'obscurité, à ne pas voir filer les heures, trop emportés dans l'enivrement de plusieurs bières consommées et l'amusement insouciant sur note de quelques rires gras. A cette époque l'existence avait encore pour eux une valeur, mais cette chienne de galaxie avait apposé sa marque sur le bras de son ami, quand bien même il avait décidé de le camoufler d'un esthétique tatouage. De la poudre aux yeux. Un peu comme sa propre comédie, car sous ses airs de mec chiant avec ses vannes casse-pieds, c'était une profonde inquiétude qui lui vrillait les tripes.

Shaun, toujours dans cette attitude de détente, tout du moins d'apparence, accroupi près de la console de jeu qu'il remettait presque en ordre de gestes mécanique, laissait un rictus se dessiner coincé aux coins des lèvres en écoutant les premiers mots d'un Eversman bien trop fracassé. Malgré les paroles qu'il lui avait balancé, il se fichait bien que son pote ai fait la fête sans lui, ou ai profité de son anniversaire de la manière dont il le voulait - quelque part, ça le rassurait de savoir qu'il était possiblement passé à autre chose, qu'il savait encore apprécier le monde et la vie. Il n'avait jamais été spécialement jaloux en amitié, ni avant ni maintenant, se contentant de cette complicité qu'ils n'avaient pas besoin d'évoquer pour être vraie... du moins avant ces putains de huit années de silence mortel. Et maintenant ? Pouvaient-ils seulement reprendre comme avant, comme si tout ça n'avait été qu'une pause, qu'une parenthèse ?

Le Ranger avait voulu mettre fin à ses jours, qu'importait les raisons, qu'importait les justifications, apprendre ceci avait profondément atteint l'officier plus qu'il ne voulait se l'avouer à lui-même d'ailleurs. Et parce qu'il se savait pas doué pour les mots ni les grandes conversations philosophiques, la méthode restait dans les faits strictement la même : passer par des moyens alternatifs, quitte à provoquer ou taquiner, pour obtenir une réaction ou une réponse. Il avait toujours été ainsi, bien que moins aigrie. Il ne comptait pas pousser le vice au delà de l'admissible néanmoins, sentant qu'il touchait les limites en l'instant.

« Je connais un Matt qui avait moins de mal de se sortir la tête du cul y'a quinze ans. » s'amusa t-il encore un peu en le voyant chercher à se justifier pour ce qu'il n'avait pas compris comme étant une facétie.

L'instant d'après, la seconde victime de ses phrases effrontées sortaient enfin de la salle de bain en fuyant comme une comète avant même de se faire alpaguer par son amant. Shaun en resta silencieux. Inutile d'en rajouter. Le mal était fait mais à bien y réfléchir, est-ce qu'il ne venait pas d'épargner à cette fille une tristesse plus grande quand elle aurait compris qu'elle n'était qu'une passade auprès du militaire ? Une colère n'était-elle pas meilleure vecteur d'un bond en avant qu'une peine sentimentale ? Certaines femmes n'en avaient pas grand chose à faire et savait évidemment s'amuser, et avec un peu d'humour, ce genre de phrase lancé spontanément aurait davantage fait rire que fuir. Mais d'autre en avaient eu le cœur brisé.

Il ne parvenait toutefois pas à se ternir de son air amusé, aussi simulé soit-il, pendant toute cette comédie. La nana s'échappait, laissant les deux compères en solitaire dans cette piaule à moitié rangé, à moitié défait. Profitant de la nouvelle proximité du militaire, qui avait rejoint le bord de son lit pour faire face au téléviseur, Shaun lui accorda à nouveau toute son attention, les traits de ses yeux s'apaisant sensiblement pour retrouver une expression un peu plus neutre, laissant leur gris d'acier l'observer finement.

« J'comptais t'offrir un duel au basket, histoire de te mettre une raclée sur le terrain, mais vu ton état, je crains que ça soit une humiliation. »

Sa main s'était échappé à l'arrière de son vêtement, plongeant dans la poche de son short étiré par sa posture, pour en sortir un rectangle pas bien grand emballé dans du papier craft uni et ficelé d'un ruban bleu pâle. Il le dressa à hauteur de son propre visage, l'agitant comme un objectif à atteindre, qu'il maintenait hors de portée.

« C'est ça que tu cherches ? »

Le regard toujours orienté vers son camarade, le paquet basculait à droite et à gauche avant que l'emprise de sa dextre se referme davantage sur l'objet, l'éloignant rapidement s'il cherchait à s'en emparer. C'était étrange comme sensation, de ce retour en arrière avec l'amertume d'avoir perdu quelque chose, et le sentiment que rien n'a vraiment changé, en apparence du moins. Car il savait pertinemment que la réalité était toute autre. Pour lui-même avant tout, pour ce deuil qu'il n'arrivait pas à faire. Et pour Eversman.

Chaque fois que Matt lançait sa main, celle de Shaun reculait d'autant plus, échappant à ses tentatives en passant l'objet emballé dans son dos, puis dans l'autre main, l'agitant vers lui pour le narguer en lui balançant quelques phrases provocatrices sur ses médiocres talents et sa latence d'esprit. Ses yeux s'étiraient d'un amusement certain à ce jeu qu'il avait lui-même initié, lui rappelant leurs jeunes années et des fourberies qu'ils s'étaient fait l'un et l'autre. Ca n'avait jamais été trop loin, toujours dans la taquinerie fraternelle, sans pousser le vice à tomber dans l'excès, et quand l'un prenait des brimades un peu trop sévère d'autre pote de la promotion, y'avait toujours l'autre pas loin pour rendre à l'irrespectueux la monnaie de sa pièce. Ils en avaient fait des coups ensemble, et si Matt avait tendance à le tirer dans les abus - essentiellement de femmes et d'alcool, voir autres, Shaun le maintenait dans le droit chemin pour qu'il évite les remontrances des supérieurs qui l'avait dans le collimateur depuis la dernière fois. Un duo équilibré qui avait survécu à la première affectation pour le SGC, avant de définitivement se perdre dans les fonds de tiroirs d'Atlantis.

« Rêve mon puceau. » avait nargué Shaun à sa remarque sur le mariage, continuant, joueur, de fuir ses tentatives. Un surnom qu'il lui avait déjà attribué autrefois en référence à cette manière que les soldats nommaient ceux qui n'avait jamais versé le sang d'un homme au combat.

Si le Lieutenant avait déjà été sur le théâtre d'opération, envoyé très rapidement et réclamant d'y retourner sitôt qu'il le pouvait, Matt, lui, était resté sur le continent jusqu'à son affectation pour le SGC. Il ne doutait pas que depuis le temps, le Ranger avait corrigé le tir et engagé sa vie autant que celle de ses adversaire, et c'était une brimade de plus, légère et de circonstance. Mais la question qui suivit provoqua une latence à la dernière tentative d'esquive de l'ainé, Eversman profitant de cela pour s'emparer de son bien tant mérité. S'il avait ouvert immédiatement, il aurait découvert le dernier FIFA sortit sur sa console fétiche. Il espérait seulement qu'il n'avait pas pu se l'offrir lui-même entre temps, histoire de dire "Hey, tu te souviens ? Les nuits blanches qu'on passait dessus...".

Mais il resta silencieux, un peu coincé à cette dernière question que son pote lui avait posé, retrouvant assez brutalement le sérieux de son visage tout en maintenant comme il pouvait un sourire à ses lèvres. Cela lui donna un air figé, dissonant, faux. Alors, il en profita pour se relever, sa main passant machinalement à son annulaire droit où son anneau de mariage n'était déjà plus physiquement mais en avait laissé la trace après des années portés. Ca avait été sa priorité oui. C'était d'ailleurs la raison pour laquelle il n'avait jamais suivi Eversman sur Atlantis à la même époque que lui, et pourtant Dieu savait le nombre de fois qu'on le lui avait proposé. Ses états de service avaient poussé sa hiérarchie à insister à plusieurs reprises, mais il avait toujours refusé : sa femme, ses enfants. Et puis, la maladie est arrivée, comme une vague déferlante qui ravage tout sur son passage, un tsunami de boue dégueulasse, aux miasmes qui imprègnent jusqu'aux poumons.

« Elle a demandé le divorce. » répondit-il enfin alors que le Ranger se préparait à sortir après avoir réclamé un café, l'officier faisant quelques pas dans la chambre en patientant. « Sans doute le côté militaire qui a commencé à les lui briser, et le fait que j'étais plus capable de penser à autre chose. »

Il n'avait pas encore évoqué le décès de son ainé. Il se sentait pas vraiment de le faire ainsi de but en blanc comme un connard qui déballe sa vie de merde à son pote qui a juste demandé des nouvelles. Non, il avait décidé qu'aujourd'hui serait la journée spéciale Matt Eversman, et il comptait pas fiche ça en l'air avec ses problèmes. Retrouvant sa banane en balayant cette pensée d'un élan brusque, il passa son bras autours des épaules du militaire et enserra sa nuque pour le forcer à se plier, histoire d'en revenir à l'essentiel : il voulait pas qu'il se mette à le plaindre.

« Aller, viens. Je t'offre ce café et j'allonge les billets pour ta journée. On va voir ce que ça vaut les fêtes sur Pégase. »

Il laissa là, perdu au milieu de la pièce, le ballon de basket qu'il avait apporté. Quitte à ne pas faire de duel et tirer des paniers, autant ne pas s'encombrer de ce qui n'était pas essentiel.

Comme s'il ne s'était agit de rien, comme si tout ceci était d'une futilité naïve, comme s'il n'y avait eu absolument aucun enjeu que deux potes qui voulaient passer juste un peu de temps à se détendre, Shaun avait rejoint la porte d'entrée, les épaules décontractés et les pensées parasitantes et envahissantes simplement chassées. Il avait jeté un bref coup d'œil à l'emballage cadeau à moitié déchiré et à son contenu qui n'avait finalement pas été ouvert, juste délaissé sur le bord du lit, sans s'y attarder outre mesure. Ca avait été histoire de faire genre, de pas venir les mains vides et quelque part, il était plutôt satisfait que le Ranger accorde bien plus d'importance à la présence de son homologue qu'à un foutu objet sans âme ni passé, sans souvenir ni affectivité.

« Ouais, toujours à la même place, toujours pareil, les cheveux blancs en plus. » avait-il répondu sur un ton d'une conversation banale, se laissant mené par ce changement de sujet assez équivoque.

Le chemin fut bref, le parcours facilité par l'usage et les différents moyens qui étaient mis à leur disposition pour ne pas perdre de temps sur le trajet, téléporteur inclus. Il avait seulement dû réorienter, d'une pression sur l'épaule, la démarche du soldat qui peinait a émerger, ce qui ne manquait pas de faire naitre quelques plissements de lèvres moqueurs de la part de l'officier qui se contentait néanmoins du silence et du brillant d'un regard plus bienveillant que railleur, histoire de ne pas trop insister ni en rajouter. Il avait fait sa petite mise en scène, dont il en était assez fier d'ailleurs, mais le reste pourrait attendre.

Assis sur sa chaise dans une attitude sensiblement vautrée, le dos reposé un peu trop en arrière et ses jambes, de nature assez grandes, prenant pas mal de place sous la table étendue, il avait pour sa part ramené une assiette de donuts qui n'avaient - pour une fois, rien à envier des bakery du pays. Shaun avait sentit que son ami avait peut-être besoin d'un bon retour au source, de raccorder sur ce qu'il connaissait, ce qui ramenait des bons souvenirs, même si désormais lointain et inaccessible, et parmi la florilège de plat proposé pour petit déjeuné, il avait opté pour la simplicité américaine. Ca lui rappelait ces temps de caserne où ils se retrouvaient parfois le matin avec l'unité pour déguster ce genre de friandise, entre deux partages de fait d'armes.

Il fixa le grisé de son regard sur l'américain qui le rejoignait à table avec deux cafés, et tandis qu'il prenait place, Shaun se redressa dans un mouvement lent et flegme, posant sa main sur le bord de l'assiette qui siégeait au centre de la table pour la pousser dans la direction de l'intéressé, dans un léger bruit de frottement de la céramique contre le bois plastifié, et le laisser choisir sur les différents parfums qu'il avait sélectionné : un au chocolat au lait au glaçage parfait renforcé par quelle flocon pour la déco, un autre au beurre de cacahuète dans son fourrage, un troisième plus classique au sucre glacé blanc, et des stries vanillés pour le quatrième. De quoi donner faim même aux anorexiques.

L'instant d'après, il retrouva sa posture, l'un de ses bras s'étendant sur la table qu'il maintenait posé, l'autre replié en arrière pour s'installé sur le dossier avec nonchalance, il avait seulement rabattu ses jambes pour laisser la place à son vis à vis, même si avec un temps de retard, histoire de l'emmerder un peu. Autour, c'était un brouhaha très léger qui se maintenait, le gros de la masse étant déjà partit à leur occupations et travaux sur la cité, ne restant que les trainards ou ceux qui, comme eux, avaient décidé que ce jour était celui d'un repos mérité.

« Toujours en train de t'attirer des problèmes. Ca m'aurait bien étonné cela dit d'apprendre que tu t'étais rangé, et sans doute inquiété. Alors ? T'en fais toujours autant baver les officiers ? »

Il avait été simple dans son intonation, bien qu'un sourire léger coincé aux coins de ses lèvres attestaient de cette complicité qu'il ressentait quand il s'adressait à l'homme, et bon sang, qu'est-ce que ça lui avait manqué. C'était sans doute dû à son caractère, ou aux évènements, mais il n'avait jamais trouvé de frère d'arme d'équivalence. A l'époque, ils étaient un peu comme Tic & Tac, Starsky et Hutch, Woody et Buzz. Les inséparables que les étoiles avaient scindé. L'un resté sur Terre et l'autre refusant d'y remettre les pieds.

D'un mouvement de la tête, à la raillerie d'Eversman, Shaun envoya un léger geste du menton dans sa direction - escorté par un fin sourire aux coins des lèvres, avant d'en faire de même dans une tout autre direction. Le Lieutenant avant réaligné son regard vers la deuxième table voisin, légèrement décalé sur sa droite, et sensiblement dans le dos de son ami Ranger, là où se trouvait un duo de femme aux couleurs d'uniforme représentant le corps médical. A regarder l'affaissement de leurs yeux, elles venaient sans aucun doute de quitter leurs activités après une éprouvante garde de nuit, et s'accordaient un royal petit déjeuné avant de retourner dans leur chambrée respective, épuisées.

Et tandis que l'une, aux longs cheveux auburn rattachés en chignon et qui n'était visible que de dos, la seconde en face brune et coupe au carré, avec devant elle une assiette d'œufs Bénédicte sur une tartine, jetait quelques œillades vers la table en attendant désespérément que le Ranger qui mangeait des donuts avec appétit, se retourne et lui sourit. Elle guettait presque avec autant d'attention qu'une souris, observant un fromage sur un piège tapette, dont l'ignorance la plus absolue serait sans doute la barre de fer qui se rabattrait puissamment et lui briserait le cou. Alors elle n'osait qu'à peine détourner son regard, s'intéressant brièvement à sa collègue qui parlait sans s'arrêter, mais revenant immédiatement à son appât d'intérêt espérant qu'il la reconnaisse.

« Je m'en fais pas. Tant que tu seras dans les parages, je serais le mec le plus insignifiant du monde. » Avait laissé glisser le Michigannais en revenant à son camarade avec une attitude flegme tout en rabattant ses jambes néanmoins, mais conservant sa posture avachie.

Plus de grades, plus de bienséance. Il était en tenue civile, pendant une permission et en amicale compagnie, ce qui signifiait que toutes pressions étaient désormais relâchées.

Shaun n'avait pas encore touché aux donuts, s'intéressant davantage au café qui avait été placé devant lui, dans un très grand verre digne des Starbucks américains dont il porta le rebord à ses lèvres pour s'en administrer une large dose. D'un mouvement fluide, il reposa le contenant devant lui sans le relâcher, ses doigts frottant sur le papier épais cartonné d'un geste distrait.

Eversman disait vraiment. Le dossier de son pote était celui qu'il avait le plus poncé. Sans doute avec l'espoir de comprendre, et cette inquiétude grandissante pour son état sans avoir les moindre détails, qui ne l'avait pas vraiment quitté. Aussi n'infirma-t-il pas, ni ne confirma-t-il rien du tout lorsqu'il en évoqua la quasi-certitude, laissant seulement ce discret sourire en coin persister comme un aveu en tant que tel. Il prit une longue inspiration, discrète, mais présente avant de répondre, le gris de son regard se perdant un temps sur le rebord de son verre encore fumant des vapeurs de caféine.

« C'est que t'en a raté des choses, depuis que t'es plus Terrien. » Il prit une légère pause, avant de reprendre, l'attention toujours focalisée au-devant bien que ses pensées vagabondaient déjà dans les souvenirs.

« J'ai laissé tomber le Bust Rodeo l'an dernier. Du coup Brandson a raflé la mise du championnat Shoot Out même s'il est toujours aussi mauvais pour dompter le bronco. Sally a fini par t'oublier et s'est mariée avec Norris y'a un peu plus de deux ans et on a finalement réussi à poser un avant-poste sur P7X-147, ce qui n'était pas une mince affaire si tu te souviens. »

Il avait passé de l'un à l'autre des sujets sans réelle transition, et sans marquer de différence dans sa narration, comme si les deux sujets - civil et militaire, étaient désormais si lointain et dissocié pour lui qu'il n'en prêtait pas grande mesure. Il ponctua ce très bref résumé d'ailleurs d'une nouvelle rasade de café.

« Mais ça n'a plus vraiment rien d'intéressant. Quand on débarque ici, c'est une véritable nouvelle vie. J'comprends qu'tu sois jamais repassé par la case terrestre. »

Rassembler plusieurs années de vie manquée en trois phrases, ça dénotait bien l’abstraction qu’il avait choisi de faire du passé, bien que dans son esprit, les souvenirs les plus vifs étaient systématiquement ceux plus personnels, refaisant surface en des flashs rapides qu’il décidait d’ignorait, rompant le lien avec son existence. Ils étaient là, sans l’être véritablement, et c’est sans doute ce qui avait aggravé sa mine, et l’avait rendue un peu plus sombre et amère. On l’avait naguère qualifié de bon vivant, c’était désormais dévolu.

Toujours occupé avec sa tasse de café, qu’il dégustait comme s’il s’était agi d’un verre d’eau, consommé à grand coup de rasades généreuses, son regard s’écarta un instant de son ami pour se poser sur les différentes figures du mess. Il n’en connaissait aucun, mais étrangement, il ne s’en sentait pas dépaysé pour autant. À la question sur son grade, il ramena son visage sur son collègue, un fin sourire dessinant ses lèvres qu’il pinçait pour en faire disparaitre l’amertume de son breuvage, décalant ses iris qui s’étaient fixés brièvement à Matt pour s’échouer dans le fond de son gobelet.

« J’ai rapidement enclenché la vitesse supérieure après ton départ. Ils m’ont nommé Lieutenant et m’avaient confié une équipe, au SGC. Mais j’crois qu’ils rechignent un peu sur leur pognon pour me flanquer Capitaine. C’est pas comme si j’en avais pas l’âge. Avec toi à nouveau dans mes pattes, ça risque de prendre encore plus de temps. »

Il déposa son contenant sur la table après l’avoir achevé d’une dernière lampée, jouant un peu avec entre ses doigts tout en l’écartant sur sa droite, du tripotage de ses extrémités sur le carton.

« J’suis passé devant Callaghan en arrivant ici. Un vrai caractère de merde, il m’a fait penser à Stevens du temps des Rangers, mais Allen a appuyé mon dossier pour pas me flanquer dans une bête explo sous les ordres d’un vieux major racorni. J’ai défendu mes mérites, ce qui m’a valu l’attribution du commandement de l’Alpha Team des RS. J’suis en équipe d’intervention et sauvetage désormais. La crème de la crème. »

Il rehaussa ses sourcils, assez succinctement, tendant le bras vers l’assiette de mets qui se trouvait un peu plus loin, se saisissant du dernier que son ami avait bien voulu lui laisser.

« On s’croisera pas beaucoup mais si j’dois choisir mon escouade pour une mission spécifique, j’penserais à toi, sois-en sûr. Y’a pas meilleur que les Rangers, même dans le trou du cul d’une autre galaxie. Hoowah. »

Ses doigts s’emparèrent du donut, le portant à ses lèvres pour croquer à pleines dents, d’une bouchée qui en dévora la moitié. Ses iris, grisés d’un clair si dense, se reposèrent sur son camarade qui lui faisait face.

« Alors, y’a quoi de fou à faire sur cette cité à part picoler jusqu’à vomir par-dessus la balustrade du Colonel ? »