Remise d'insignes

« Mesdames, Messieurs... »

Le ton solennel de John Sheppard emplissait la grande salle de la Porte des Étoiles, depuis le haut des escaliers auxquels avait été dressé son pupitre. Rarement vu en tenue de cérémonie, le responsable de la division militaire du SGA portait son regard sur ses homologues tout aussi bien dressés que lui, à l’occasion de cet évènement important. Les enceintes renvoyaient sa voix jusqu’aux coins et recoins, où tous les invités cessèrent immédiatement leurs murmures pour se tourner vers lui. Au pieds des marches, formant un couloir, deux lignées de soldats, en face à face et les mains jointes, drapés de la tenue d’occasion originaire de leur pays. Ils patientaient fièrement à l’énonciation du discours. Parmi eux, le Sergent-Maître Laverse, dont le costume français particulier renforçait sa stature autoritaire.

« C’est un plaisir de m’adresser à vous ce soir, en respectant les règles de ce périlleux exercice : remercier en essayant de n’oublier personne, ce qui bien sûr est impossible. »

Et la faible proportion des militaires entassés dans cette pièce l’en justifiait autant. Mais il reprit, conscient qu’à défaut de ne pouvoir réellement prouver sa gratitude à l’ensemble de ses frères et sœurs d’armes, il avait le devoir de veiller à leur bien-être et leur sûreté.

« ...fuir les généralités ennuyeuses et assommantes, ce qui n’est pas gagné d’avance... »

Un léger soubresaut de rires étouffés accompagnèrent sa répartie.

« ...Et surtout, être bref, ce qui, pour ceux qui me connaissent bien, n’est pas une de mes vertus cardinales. »

Quelques éclats plus francs percèrent la foule, quand les plus réservés élevèrent seulement un brin de sourire. Entouré de son équipe prêtée à la plaisanterie, Sheppard se redressa, croisant les bras dans son dos. Gardant un rythme de parole clair et lent, il haussa sensiblement la voix, octroyant un contact visuel une personne à la fois :

« Chacun des hommes et des femmes qui représente l’élite de l’union et la paix, et la défendent au nom du devoir et de la justice, sous l’ordre et la vertu, de la bravoure, de l’héroïsme et de l’excellence... sont dignes de mériter les plus grandes distinctions que nous puissions leur offrir. Ceux qui, jour après jour, grâce à leur intelligence, leur dévouement et leur générosité, bâtissent l’avenir et le rayonnement de l’humanité. »

Il saisit, de mains gantées de blanc, un petit objet, le détachant de sa boîte de présentation.

« C’est pourquoi, au regard de leur accomplissements exemplaire, j’ai aujourd’hui le grand honneur de promouvoir certains de ces valeureux officiers au rang supérieur. »

Descendant les marches avec attention, accompagné d’un porteur d’insignes, il se positionna alors devant le Sergent-Maître Laverse. Même s’il ne connaissait pas intimement tous les soldats qui composait cet archipel Ancien et encore trop inconnu, il y avait une réelle sincérité brillant dans ses iris, reflétant la sympathie qu’il éprouvait à l’égard de ses subordonnés.

« Sous-Officier Lisa Laverse. Au nom du Président de la République, nous vous élevons au rang d’Officier de l’Armée de l’Air Européen. »

Agrafant le galon minutieusement sur son uniforme, un infime sourire se dessina sur son visage, et, à titre plus personnel, le ton bas, il ajouta :

« Sous-Lieutenant Laverse, mes félicitations. »

Voir ses hommes grimper les échelons était une véritable fierté pour Sheppard. D’une part parce que cela prouvait leur engagement, mais aussi l’indéfectible force que représentait l’ensemble du SGA. Il poursuivit son élan et, un à un, promu les soldats sujets de l’évènement.

La réception se poursuivit longuement ce soir là. Quelques civils et Pégasiens reconnus se mêlaient au rassemblement, appréciant la reconnaissance du devoir effectuée par les Terriens.

Lisa grognait intérieurement. Sans un mot, le dos bien droit, le regard porté vers les escaliers, les iris posés sur le coupable. La militaire n’avait pas envie d’être là, mise en avant de la sorte, pour quelque chose qui aurait pu se faire discrètement, sans toute cette couche cérémonielle qu’elle avait toujours eu tendance à fuir sur Terre. C’était souvent long et ennuyeux. Sans parler que l’on passait l’heure suivante à recevoir les félicitations de tout le monde, sans pouvoir y échapper. D’un autre côté, c’était peut-être une aubaine qu’ils soient tous en ce jour à des millions d’années-lumière de leur monde d’origine : ça lui évitait d’avoir le désagrément de porter la jupe et des talons, se confortant un peu dans le pantalon qui couvrait entièrement ses jambes et les rangers ô combien plus confortables chaussées à ses pieds. En fait, sa tenue du jour n’était pas du tout réglementaire, et elle se serait sans doute faite fusillée sur place, dans d’autres circonstances. Il restait tout de même le placard de médailles, qui avait tendance à vouloir la faire tanguer sur le côté, mais il y avait des choses auxquelles on ne pouvait pas échapper. Là aussi, il y avait du bon d’avoir œuvrer une bonne partie de sa vie dans le secret. C’était moins lourd que ça devrait l’être.

Sheppard avait aussi le don de détendre l’atmosphère, de la rendre moins sérieuse tout en gardant sa solennité, tel un funambule marchant sur son fil à la recherche d’un équilibre qui satisferait tout le monde. Si des éclats de rire s’élevèrent dans son dos, la militaire se contenta d’agiter légèrement la tête, un sourire étant tout de même parvenu à s’afficher sur ses lèvres. La militaire échangea quelques regards avec ses collègues soumis à la même torture qu’elle, avant de reporter son attention sur ce que leur chef racontait. Ça ressemblait un peu à ce qu’elle serait attendu à entendre de son côté de l’Atlantique : la bravoure, l’héroïsme, le courage, tant de vertus que l’on pouvait retrouver en chaque membre de cette expédition, quel que soient ses origines, ou ses fonctions. Civil comme militaire, tous étaient voués à se dépasser et s’élever un jour ou l’autre. Sinon ils ne seraient pas ici, à former une entité cohérente et soudée.

La militaire se dressa légèrement sur la pointe des pieds avant de se laisser reposer un court instant sur ses talons, dans le seul but d’apaiser la lourdeur et la tension qui venait enserrer ses chevilles. Il n’était pas dans ses habitudes de rester statique de cette manière aussi longtemps. Elle regarda finalement Sheppard descendre les marches avant de reporter son attention devant elle, juste avant qu’une autre voix s’élève de derrière elle pour exiger à tout le petit peloton de rectifier sa position. Lisa ramena ses bras le long de son corps, le menton légèrement relevé, sans faire preuve d’exagération, avant de voir la silhouette de Sheppard se présenter devant elle, ce qui n’était pas une surprise, vu qu’elle était la première de sa file partant des escaliers. Elle le salua informellement d’un très bref hochement de tête avant de lui retourner un air presque aussi sympathique et fier que le sien, car oui, si elle avait préféré éviter d’avoir à faire ça en public, elle n’en retirait pas moins une certaine fierté d’être parvenu à accomplir ce qui lui aurait été impossible sur Terre, dans son pays d’origine, sans avoir à remplir une paperasse phénoménale et passé une ribambelle d’examens.

Sans rien dire, elle le laissa jouer avec les passants vierges qu’elle avait enfilé pour l’occasion. Heureusement d’ailleurs que cette cérémonie n’était pas improvisée, et qu’on l’avait informé plus tôt de son déroulé, auquel cas le colonel se serait retrouvé bien embarrassé. C’était étrange, d’ailleurs, de voir un Américain apposer des grades de l’armée de l’air de son pays sur l’uniforme d’un militaire d’un autre, en dehors de toute conformité et de respect pour le protocole, mais ils étaient dans une autre galaxie, si loin de leur monde d’origine que personne ne viendrait leur en tenir rigueur.

« Merci mon colonel. C’est un honneur. » répondit-elle sur un ton aussi bas et personnel, avant de le laisser se reculer, pour mieux le saluer.

Puis Lisa le laissa poursuivre, gardant la position jusqu’au moment où il eut terminé, signifiant la fin de la cérémonie. Derrière elle, cette même voix qu’y avait exigé de la discipline s’éleva à nouveau pour signifier au groupe de se disperser, et la militaire retrouva une position plus détendue, sa respiration s’accélérant quelque peu à mesure qu’elle réalisait que la chose était actée. Par politesse, et respect, elle alla saluer chacun des autres décorés, avant, de profiter de la petite bousculade amicale pour attraper son béret et venir le glisser contre à l’intérieur de la ceinture blanche qu’elle portait pour l’occasion, puis ; fouiller les poches de son pantalon pour en tirer deux passants tout neufs et réglementaires sur lesquels s’étalait une seule bande jaune étroite, équivalente aux insignes que Sheppard venait d’agrafer sur chaque épaule. Elle se dépêcha de faire l’échange, un collègue s’empressant de l’aider, frappant finalement son épaule avant de la féliciter une fois de plus.

Il ne serait pas le seul à faire, ce soir, et dans les jours à venir…

La journée avait été longue pour le Dr.Carr-Li. Une pluie de grelons avait martelé le bouclier cinétique de la cité Atlante, ce qui avait produit un bourdonnement constant et abrutissant, qui l’avait maintenue éveillée depuis le milieu de la nuit. C’était avec une migraine pulsant entre les oreilles qu’elle avait écouté les confidences de ses patients, d’un planning plus que chargé depuis que de grosses restrictions avaient été mise en place en cet hiver hargneux. Ce n’était plus seulement des Atlantes qu’elle recevait à son bureau, mais aussi quelques colons Lantiens intéressés par des conseils de vie. D’une planète lointaine ou non, et a moins de vivre dans un monde utopique, ce dont elle doutait sérieusement l’existence à force d’être envoyé en mission auprès de peuples en crise, tout le monde avait un intérêt à s’entretenir avec un psychologue. Recueillir leurs camarades d’infortune au sein de la protection des murs d’Anciens, réduisait les places disponibles du mess et autres lieux de concentration humaine. Et si les déplacements intramuros étaient suspendus, les missions via la Porte des Etoiles n’en demeuraient pas moins prisées. Au final, le travail ne manquait pas. Toute cette agitation demandait même plus d’ardeur.

Elle quittait tout juste son bureau en début de soirée, l’esprit embrumé. Sa montre waterproof lui rappela l’heure tardive et le retard qu’elle avait prit contre sa volonté. Le secteur médical qu’elle traversait dans l’optique de récupérer la plateforme de téléportation pour rejoindre ses quartiers, était noyé sous une masse étrangère d’hommes, de femmes et d’enfants en tenue locale. Si elle avait une mémoire faillible, Kendall avait un excellent sens physiologique et savait d’instinct reconnaître un visage déjà rencontré. Il était clair que la majorité des patients faisaient parti de la colonie lantienne, même certains qui avaient dû emprunter l’uniforme Atlante. Kendall salua quelques tête amicales, mais ne s’attarda pas sur leur état. Si elle ne se dépêchait pas, elle manquerait la réception.

Participer aux évènements d’envergure était nouveau pour elle, en dehors des communiqués de presse qui accompagnaient l’arrestation d’un meurtrier prolifique. Il n’y avait lieu ici qu’à féliciter, à grand renfort de manières pompeuses, le travail et le dévouement des plus émérites. Pour quelqu’un avec autant de fierté que la psy, se hisser sur le podium ne lui aurait pas déplu, même si elle l’aurait sans doute dissimulé derrière un masque humble. Qui ne vivait pas pour se distinguer de la masse, après tout ? Surtout dans un tel engouement comme celui du programme Stargate, qui ne visait pas moins que l’excellence.

Dans son métier, pourtant, il n’y avait pas de possibilité d’évolution. Elle était déjà au sommet de ce qu’elle pouvait entreprendre. La seule façon de grimper de nouveaux échelons, serait d’accepter de nouvelles responsabilités. En somme, changer relativement de voie, ce dont elle ne s’était jamais permis depuis qu’on lui avait diagnostiqué un trouble à maintenir en laisse. Peut-être se décidera-t-elle un jour…

Après un rafraîchissement de surface et un remaquillage subtile, la psy sorti de ses appartements dans une tenue bien plus adéquate à une cérémonie. Il ne s’agissait pas d’un gala de charité, mais l’invitation à l’évènement méritait de s’y investir, surtout lorsqu’il y avait rarement d’occasion de se montrer sous son meilleur jour. Affublée d’une robe noire à manches longues, pourvue d’un large décolleté et d’une fente à la cuisse mettant en valeur sa peau de miel, le Dr.Carr-Li traversait les couloirs avec la grâce d’un fauve. Un collier d’or et d’argent cernait son cou, assorti à ses boucles d’oreilles pendantes. Une veste légère sur le bras, pour palier les zones où le chauffage était limité,elle s’imisca dans la foulée d’autres retardataires, tout juste à l’entrée de la salle de débarquement. Ses talons hauts claquaient à rude mesure, jusqu’à se fondre dans le soulèvement des murmures de discussions frivoles. Le discours du colonel avait déjà eu lieu, mais Kendall n’avait aucune difficulté à repérer le personnel sujet de ce rassemblement, pour la simple et bonne raison qu’ils étaient littéralement au centre de toutes les attentions, un atome supportant des dizaines d’électrons électriques.

Elle entendait distinctement des félicitations lancées de vives voix. Ne voulant pas se frayer un chemin comme un requin fendant la marée, elle patienta longuement avant de se coller à la bienséance sociale.

S’il y avait bien une personne qui devait se trouver là, aux premiers rangs de cette cérémonie qui n’avait d’officielle que son éligibilité si loin de la Voie lactée, c’était bien le Lieutenant Shawn Kelly. Déjà parce qu’il était son supérieur direct, intégré à son équipe récemment composée parmi des hommes et des femmes triés sur le volet dont il avait une absolue confiance, mais aussi parce que certaines élogieuses lettres de recommandation avaient pesé dans la balance de cette décision, signé de sa main. Pourtant le mérite n’en revenait qu’à elle, et à elle seule, lui n’ayant eu que l’instinct d’en reconnaitre les faits et de les pousser au-devant d’officiers bien trop aveugles et autocentrés pour s’en apercevoir.

Ses sentiments étaient néanmoins partagés, entre cette satisfaction de voir enfin récompensé ce qui était dû, et cette gêne par procuration d’être de cette façon projetée au-devant d’une scène qui manquait cruellement de protocole. C’était bien plus que des rumeurs qui attestaient que le Colonel était très loin d’être le premier à respecter les conventions, dénotant ainsi l’aspect unitaire et familial de la cité d’Atlantis, loin de toute procédure terrienne. Tout de même, observer un Américain proclamer attribuer un insigne au nom d’un Président qui n’était pas le sien, ça avait tendance à lui faire grincer des dents, en bon patriote qu’il était. Mais étriqué dans son approprié uniforme Atlante - noir de circonstance, repassé et rigueur aux plis, l’homme n’en démontra rien sinon une attention froide et rigide tel qu’on lui connaissait et cela, même lorsque quelques-uns de ses confrères se mirent à rire discrètement aux écarts verbaux de leur dignitaire.

A ses côtés, ses collègues assistaient pareillement à la cérémonie, premiers invités commis d’office à trouver place parmi les militaires présents, pour encenser leur camarade qui devenait, désormais officiellement, l’adjointe du Lieutenant Kelly, et donc leur supérieur également. Garde à vous, salut à l’américaine, le déroulé fut strictement respecté avant que les rangs ne soient rompus, et que chacun puisse aller complimenter les récipiendaires. Peu amateur des foules, Shaun trancha cependant celle-ci de son imposante carrure, traçant un chemin droit vers celle qu’il se devait de congratuler, d’une poignée de main solennelle, et d’une frappe maitrisée sur le frais galon à son épaule. Il n’eut néanmoins que peu de temps pour discuter avec cette dernière quelques mots, très conformiste au demeurant, mais qu’un simple regard pouvait en attester d’une portée plus grande, avant qu’ils ne soient rejoints par le reste de l’équipe.

Outre le respect hiérarchique, dont l’écart se creusait un peu plus désormais, qui se profila aux débuts des échanges, ce fut Meagan qui brisa la première de ces barrières traditionalistes pour laisser prendre le dessus l’esprit de camaraderie qui avait commencé à se tisser au sein du groupe, abordant un ton plus familier et enjoué pour annoncer ses félicitations. L’ambulancière paramédicale était de base une femme très expressive, se dénotant assez par cette particularité qui faisait généralement naitre ces élans bon-enfant, bien qu’elle en connaissait les limites du raisonnable. Jamais trop, l’officier ne l’aurait pas accepté. Mais pour l’heure, il y avait bien plus à planifier que de simple conventionnel embrassade : un galon n’en ressortait jamais intact d’une cérémonie ni en parfait état de propreté.

Sous la supervision de leur responsable, l’équipe avait préparé quelques surprises plus intimes pour le nouvel officier, bien que cela en restait droit dans les convenances. Jamais trop, il ne fallait pas l’oublier. Ils lui laisseraient le temps de savourer les connivences avant d’aborder le vif du sujet. Pris dans cette bienveillance fraternelle, après avoir patienté un moment et que la foule se dissipe finalement pour retourner à la partie opérationnelle de leur devoir, Shaun alla retirer les galons des épaules de Laverse : si elle les voulait, elle devra aller les récupérer, plongés dans un liquide loin des 0° - et on ne parlait pas de température ici. C’était une tradition qui transcendait les pays et même les mondes, hors de question qu’ils ne la respectent pas.

D’un sourire léger en coin, assez rare pour être noté sur le visage de l’américain, il agita les passants au nez de la toute jeune officière. Elle savait désormais ce qui l’attendait.